Les procès faits aux animaux
Au moyen âge les porcs et les truies, couraient en liberté dans les rues des villages et il arrivait souvent qu’ils dévorent des enfants.
On procédait alors à l’arrestation et au jugement de ces animaux par voie criminelle.
Voici quelle était la marche que suivait la procédure.
On incarcérait l’animal, c’est-à-dire le délinquant, dans la prison du siège de la justice criminelle où devait être instruit le procès.
Le procureur ou promoteur des causes d’office, c’est-à-dire l’officier qui exerçait les fonctions du ministère public auprès de la justice seigneuriale, requérait la mise en accusation du coupable.
Après l’audition des témoins et vu leurs dépositions affirmatives concernant le fait imputé à l’accusé, le promoteur faisait ses réquisitions, sur lesquelles le juge du lieu rendait une sentence déclarant l’animal coupable d’homicide et le condamnait définitivement à être étranglé et pendu par les deux pieds de derrière à un chêne ou aux fourches patibulaires, suivant la coutume du pays.
Du treizième au seizième siècle l’histoire fournit de nombreux exemples sur l’usage de cette procédure suivie contre des pourceaux et des truies qui avaient dévoré des enfants, et qui, pour ce fait, étaient condamnés à être pendus.
– Année 1266. — Pourceau brûlé à Fontenay-aux-Roses, près de Paris, pour avoir dévoré un enfant.
– Septembre 1394. — Porc pendu à Mortaing, pour avoir tué un enfant de la paroisse de Roumaigne.
– Année 1404. — Trois porcs suppliciés à Rouvres, en Bourgogne, pour avoir tué un enfant dans son berceau.
– 17 juillet 1408. — Porc pendu à Vaudreuil pour un fait de même nature, conformément à la sentence du bailly de Rouen et des consuls, prononcée aux assises de Pont de-l’Arche tenues le 13 du même mois.
– 24 décembre 1414. — Petit pourceau traîné et pendu par les jambes de derrière, pour meurtre d’un enfant, suivant sentence du mayeur et des échevins d’Abbeville.
– 14 février 1418. — Autre pourceau coupable du même fait et pendu de la même manière, en vertu d’une sentence du mayeur et des échevins d’Abbeville.
Les jugements et arrêts en cette matière étaient mûrement délibérés, l’exécution était publique et solennelle et quelquefois l’animal paraissait habillé en homme.
En 1386 une sentence du juge de Falaise condamna une truie à être mutilée à la jambe et à la tête, et successivement pendue pour avoir déchiré au visage et au bras et tué un enfant. On voulut infliger à l’animal la peine du talion.
Cette truie fut exécutée sur la place de la ville, en habit d’homme, l’exécution coûta dix sous et dix deniers plus un gant neuf à l’exécuteur des hautes oeuvres.
Un compte de 1479, de la municipalité d’Abbeville, révèle qu’un pourceau également condamné pour meurtre d’un enfant fut conduit au supplice dans une charrette, que les sergents l’escortèrent jusqu’à la potence et que le bourreau reçut soixante sous pour sa peine.
Pour une semblable exécution faite en 1485 à Tronchères, village de Bourgogne, le bourreau reçut également une somme de soixante sous.
On procédait aussi par les mêmes voies judiciaires contre les taureaux coupables de meurtres.
Un fermier de village de Moisy laissa échapper un taureau indompté. Ce taureau ayant rencontré un homme, le perça de ses cornes, l’homme ne survécut que quelques heures à ses blessures.
Charles, comte de Valois, ayant appris cet accident au château de Crépy, donna ordre d’appréhender le taureau et de lui faire son procès.
On se saisit de la bête meurtrière, les officiers du comte de Valois se transportèrent sur les lieux pour faire les informations requises et sur la déposition des témoins ils constatèrent la vérité et la nature du délit.
Le taureau fut condamné à être pendu. L’exécution de ce jugement se fit aux fourches patibulaires de Moisy-le-Temple. La mort d’une bête expia ainsi celle d’un homme.
Cette condamnation n’est pas la seule de cette espèce.
En 1499 un jugement du bailliage de l’abbaye de Beaupré, ordre de Citeaux, près de Beauvais, rendu sur requête et information, condamna à la potence jusqu’à mort inclusivement un taureau pour avoir tué un jeune de quatorze à quinze ans, dans la seigneurie du Cauroy, qui dépendait de cette abbaye.
Les chevaux étaient aussi poursuivis criminellement, les registres de Dijon constatent qu’en 1389 un cheval, sur l’information faite par les échevins de Montbar, fut condamné à mort pour avoir tué un homme.
Dès le treizième siècle Philippe de Beaumanoir, dans ses Coutumes du Beauvoisis, n’avait pas craint de signaler en termes énergiques l’absurdité de ces procédures dirigées contre les animaux à raison des homicides qu’ils avaient commis.
Ceux, disait-il, qui ont droit de justice sur leurs terres font poursuivre devant les tribunaux les animaux qui commettent des meurtres; par exemple lorsqu’une truie tue un enfant, on la pend et on la traîne; il en est de même à l’égard des autres animaux.
Mais ce n’est pas ainsi que l’on doit agir car les bêtes brutes n’ont la connaissance ni du bien ni du ma, c’est donc justice perdue car la justice doit être établie pour la vengeance du crime et pour que celui qui l’a commis sache et comprenne quelle peine il a méritée.
Or le discernement est une faculté qui manque aux bêtes brutes.
Cependant les critiques ne furent pas écoutées et ce mode de poursuites continua à être suivi dans tous les procès de de genre qui furent nombreux du quatorzième au seizième siècle.
La jurisprudence, se basant d’ailleurs sur l’autorité des livres saints, avait adopté l’usage d’infliger aux animaux des peines proportionnées aux délits dont ils étaient convaincus.
On pensait que le supplice du gibet appliqué à une bête coupable d’un meurtre imprimait toujours l’horreur du crime et que le propriétaire de l’animal, ainsi condamné était suffisamment puni par la perte même qu’il faisait de cet animal.
A partir de la seconde moitié du seizième siècle on renonça à ces procédures aussi absurdes que ridicules contre les animaux.